Anne-Lise Broyer
Avril 2019, puis août et septembre 2019

Notes d’un journal de travail…
Kerguéhennec — Séjour 1
Être en résidence, c’est habiter un lieu… si ce lieu est une forêt, c’est habiter dans les arbres.
C’est donc habiter un dehors, une maison ouverte. Un abri, un refuge dans un monde abîmé. Ici le printemps ne s’est pas encore tu. Les oiseaux chantent encore alors qu’ailleurs « rien ne chante plus et tout est bien chantage. »
Aujourd’hui l’Europe bascule dans le brun, je veux croire au vert et la beauté des choses.
Dans les bois l'œil se perd, bute sur un tronc et retrouve l'ouverture d'un chemin, le plein cadre. L’œil se pose à l’horizon puis repart dans cette palette infinie du vert. Rousseau voulait « faire un livre sur chaque mousse des bois », Humbolt s’autorisait la combinaison de la science et de la littérature, il reliait « le lichen et la galaxie. »
C’est que tout compte infiniment.
Être en résidence, c’est être en retrait, à l’écart, c’est être dans son geste et seulement lui.
Je lis Nos cabanes de Marielle Macé, 80 fleurs de Zukofsky, Le détail du monde de Romain Bertrand, La machine à voir de Bernard Noël… « L’espace du regard, c’est le visible, mais cet espace n’est-il pas le pendant extérieur de celui que nous qualifions de mental ? »
J’ai cueilli ce matin des carottes sauvages :
« Guipure infiniment-herbeuse orbes embrasés yeux
illuminent capitules blancs plats dentelle
centres pourpres nombreuses petites fleurs (…) »
Zukofsky
Elles rejoindront le bouquet second, qui s’endormira comme le premier et pourrira. Le dessin leur rendra leur superbe, le désastre derrière, comme une plaie « pensée ».
Séjour 2 et 3
Notes d’un journal de travail…
Revenir dans un lieu comme ce Domaine, c’est retrouver son pas, son souffle.
C’est retrouver une cadence lente, celle qui permet d’observer le silence, vivre dans la nuance et capter les bruissements. Eugène Guillevic et Élisée Reclus m’accompagnent en chemin.
Les fougères
Ne regardent pas
Vers l'horizon. (E.G.)
C’est vivre dans le temps du vert, du vers… le poème. Bernard Noël dans Une Machine à voir, un monde où le mental et le réel sont confondus de telle sorte que nous retrouverons l’immanence des choses.
Je cueille encore : bouquet troisième et quatrième, comme une collection. Je les regarde mourir et m’attache à ranimer par le dessin, la moindre feuille, le moindre pétale du premier.
Il s’agit de traduire une expérience du paysage, une déambulation dans un lieu ouvert, dans un espace clôt. Je compte mes pas et tente de ramener ces longues promenades à l’échelle du lieu d’exposition afin que l’amplitude de ces marches soient perçues, ressenties, vécues par le visiteur.
Chaque fougère
A son aventure. (E.G.)